La quille

Publié le par Vini

Très doucement, le soleil se lève sur la ville. Mes hauteurs m’offrent le ballet d’une mer d’immeubles qui, depuis peu réveillée, se colore, avec grâce, d’oranges aoûtiens.

Tu m’as fatigué. Tout est de ma faute, il n’y a pas de fatalité, les meilleures choses n’ont jamais de fin. Si tu veux. Du moment que tout cela finisse pour de bon.

Je t’ai demandé de rentrer chez toi, de quitter ma vie, d’effacer ma mémoire, de faire la grande, d’éviter de crever d’aigreur sous le soleil de cet été infernal.

Tu es là, depuis des mois, à rugir, à faire suinter le reproche dans les regards croisés au petit matin entre l’avenue de la cuisine et le boulevard de la salle de bains. Je ne t’aime plus. Je te l’ai dit. Je t’ai donné, tu as pris. Je ne te reproche rien, mais, pars, je t’en prie.

C’est aujourd’hui l’état d’urgence, la guerre froide installée, tu squattes mon chez moi, sourire narquois, victime du bourreau, dernière cigarette sur le balcon.

J’ai le mauvais rôle, celui du méchant. Très bien, mais va-t’en maintenant.

Les semaines ajoutées aux mois, tu abuses, tu résistes. Ton venin éclabousse les fleurs de mon appartement, m’agace, m’incendie.

Tout serait pourtant bien plus simple si tu avais ton chez toi loin de mon chez moi. Alors, je t’en prie, la porte est au bout du couloir.

Mais voilà. La simplicité est une exclusivité masculine, une échappatoire aux problèmes de la vie, la lâcheté indissociable des très viriles hormones. Me dis-tu. J’acquiesce. Mais barre-toi.

Non, je ne suis pas amoureux d’une autre. Tu m’as juste usé, fatigué, crevé. Nous avons évolué différemment, si tu préfères. Et nos chemins se séparent. Surtout le tien.

Terre brûlée appliquée. Impératrice, tu te délectes du goût rance du passé. Et ta vengeance passera par mes pleurs. Il ne doit rien rester. Il ne restera rien.

Très doucement, les cieux se réveillent. La lutte entre la nuit et le jour m’excite. Le soleil gagne toujours.

Le clic-clac te ta valise carillonne. Tes talons aiguilles résonnent dans les couloirs, pas précipités, allers et venus, drôle de danse. Sur le balcon, je me contiens, mais au fond de moi, la gigue l’emporte, je voudrais chanter, réveiller le quartier, leur annoncer cette belle journée.

Mes yeux brillent, un léger sourire me chatouille les lèvres. Se réjouir dans un tel moment est odieux mais dieux, que c’est bon ! Aujourd’hui, je pourrais me plier en quatre pour te dérouler le tapis rouge jusqu’à la sortie. Mademoiselle, laissez-moi vous aider, ce sac me paraît bien trop lourd. Je ne voudrais pas vous voir en retard.

Je pense que je vais repeindre les murs en vert, bleu, jaune, orange, rouge, dessiner des arcs-en-ciel sur le carrelage, me promener nu en chantant de basses paillardes, inviter des copains pas propres sur eux et même me mettre à regarder le foot.

Gentilles lectrices, gentils lecteurs, ouvrons les yeux, ce monde est génialement pourri. Hainons-nous les uns les autres.

Publié dans Chroniques

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