Taraxacum Strategema

Publié le par Vini

L’esthétique de la blogosphère est une question que me taraude.

Des millions de pages, des centaines de millions de mots posés sur les champs magnétiques des plateaux des disques durs nous accueillent à toute heure du jour et de la nuit pour un voyage dans les tourments complexes de leurs auteurs, les blogonautes.

Exutoires, thérapies personnelles, voyages au fond de soi-même, auto-analyses, les blogs partagent, toute pudeur oubliée, les noirs desseins et les roses désirs de toutes les générations.

L’esthétique de la blogosphère cultive la médiocrité et se dope à l’autosatisfaction.

A l’instar de la présente, les blogs assurent aussi la fonction de dépotoirs électroniques pour œuvres grotesques d’artistes ratés, adeptes exhibitionnistes de la très dominicale masturbation intellectuelle. Piètres écrivains, artistes peintres plus illuminés que lumineux, libertins esseulés, dessinateurs hésitants, photographes instantanés, musiciens sonnant faux, sportifs de bas de tableaux, politiciens de zinc, tous se regardent le nombril et, en cercles restreints d’amis virtuels, se félicitent entre eux de cet incroyable talent, corne d’abondance pour ego assoiffés. Plus que dans la vie réelle, car l’anonymat préserve de la honte, chaque blogonaute détient le pouvoir de s’autoproclamer. C’est l’égalité dans la médiocrité : tous égaux et gros ego.

Après l’exaltation du bain de foule, les artistes accomplis cherchent l’amour. Alors ils expient, dans d’interminables et mielleuses proses, leurs rêves et fantasmes, offrant, sur l’autel du blog, sans qu’on leur ait demandé quoi que ce soit, de croustillantes révélations sur leurs actes manqués, sur leurs espoirs ensevelis.

L’esthétique de la blogosphère présente une logique stellaire.

A tout yin correspond un yang. A ce titre, le monde virtuel est aussi générateur de mouvements actifs, révélant chez ses participants de très humains sentiments – surprenant amalgame de réalité et de virtualité. Ainsi derrière les mots irréels se cachent parfois de réelles beautés. Vies imparfaites, racontées avec humilité et humanité, miroirs de mille présents, elles déclenchent un électronique engouement parmi le cercle restreint d’amis virtuels. Dans une logique stellaire, la lumière devient le centre de tout, les amis orbitent, les plus fragiles s’effritent, les plus solides forment de nouvelles planètes et tous ne doivent leur salut qu’à cet astre éphémère.

L’esthétique de la blogosphère est un tout infini.

Le chaos est à l’origine du système et le temps, une dimension mal maîtrisée par l’homme. Dans les petits systèmes formés de modestes planètes, la régularité a fait place au grand chambardement et l’on échappe à la consanguinité qu’au travers d’étoiles filantes. Dans l’ennui, les habitants de ces petits mondes observent d’autres galaxies et si chacun est convaincu de l’existence de la vie extra-terrestre, aucun n’ose imaginer qu’elle puisse être plus évoluée que la leur.

L’esthétique de la blogosphère, ou l’art du cérémoniel.

A chaque publication d’article, les blogonautes entament un étrange cérémoniel de remerciements. Les initiés en premier viennent déposer une gerbe de compliments tant et si bien que les premières fois, l’on reste surpris, entrevoyant dans ce rituel une quelconque pratique funéraire. Réprimant in extremis l’expression d’une réticence à tant de miel, l’on savoure finalement les présents, le sucre se digérant mieux que le fiel. Alors à notre tour, l’on ira parcourir les allées du carré des amis pour y graver quelques superlatifs encouragements.

L’esthétique de la blogosphère, mémoire collective et mouvement perpétuel.

Les peines et les joies, les rêves et les réalités reviennent de blogonautes en blogonautes. L’éternelle histoire de rupture succède à l’éternelle histoire d’amour fou. Les mots changent à peine selon que l’amoureux du jour se prénomme Paul ou Pierre, les lettres de ruptures à Marion ou Caroline dressent une même liste de raisons inutiles, cherchant à justifier le pourquoi de la fin des sentiments. Grand-mère machin, photographies à l’appui, présente la cent millième recette de tripes à la mode de Caen. Le jeune Cyril, DJ truc pour les intimes, crache sa haine pour la société, héritée des glorieuses soixante-huit, qu’il transforme en rap habile, laissant de côté les concepts philosophiques, y ajoutant les fautes d’orthographe.

L’esthétique de la blogosphère, catalyseur des émotions de nos sociétés.

A un moment ou à un autre, la lecture d’un blog dressera le portrait de tout ou partie de votre vie. Ce sera alors une étrange émotion, celle d’être enfin compris. Alors que dans le monde réel, les visages et les portes se ferment, l’univers de la blogosphère ouvre grandes ses portes, présentant à toutes les consciences, les coulisses de vies profondément identiques.

L’esthétique de la blogosphère et autres statistiques.

Reproduction fidèle de la vie, la blogosphère, pour se développer, en appelle à notre orgueil, excitant nos gênes à l’aide de compteurs. Nombre de visiteurs et nombre de pages vues sont les statistiques de polénisation, les pourcentages de chance de survie d’une espèce. Pour assurer son existence, il faut alors se développer et conquérir. Ce dernier constat expliquerait alors sans peine, l’abyssale quantité de commentaires chaleureux, réels appels à la virtuelle visite de blogs. Hermaphrodite, le blogonaute se disperse au gré du vent, déposant ses liens hypertextes aux quatre coins du système qu’il explore. On parlera alors de Taraxacum Strategema, qui se traduit en "Stratégie du pissenlit". Car comme chacun le sait, le pissenlit permet de faire d'excellentes salades, possède de véritables vertus médicinales mais encombre aussi généreusement les jardins au même titre que n'importe quelle mauvaise herbe...

L’esthétique de la blogosphère et les charmes de ses pitoyables mandolines.

Perdue dans l’univers, cette petite page chantée par votre dévoué troubadour, aura brillamment dressé ici, je l’espère, le portrait de ce mode de vie dernier cri. Je vous remercie platement pour votre délicate attention et en appelle maintenant à votre bon cœur pour y aller de votre petit commentaire. Pensez à mettre un lien sur vos pages et faites tourner l’adresse de mon site. Je vous aime toutes et tous.

Gentilles lectrices, gentils lecteurs, ouvrons les yeux, ce monde est génialement pourri. Hainons-nous les uns les autres.

Publié dans Chroniques

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B
Je ne viens pas tous les jours lire mes mails et j'ai encore moins de temps pour me promener sur le net.<br /> Pour une fois que je le fais, je trouve que je fais partie d'un forum.<br /> Qui m'a fait arrivée là ?<br /> Merci de m'expliquer
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A
La blogosphere ne pourrait-elle tout de meme pas etre un espace d'expression pour tous les "Mozart  Assassines" (http://supplementd-amesoeur.blogspirit.com/list/livres_de_ma_vie/terre-des-hommes.html), meme s'il n'est pas donne a tout le monde d'etre Mozart ? ;-)
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V
Si, bien entendu. Car que seraient les bons sans les mauvais ? Tout n'est que question de relativité... Et puis cet article dénonce moins la médiocrité que la désobligeante publicité qu'appuyent certains pour vendre leurs mots. Mais qu'importe. Cet article fait réagir et c'est très bien ainsi. :-)
S
huhu, je me retrouve bien dans ta description ;-). Cela dit, forcèment tu t'y colles toi même. A moins que tu ais conscience de ressortir du lot ?<br /> Bref, sur ce, je m'en vais pourrir dans la médiocrité facile de mon blog puant.<br /> Bonne soirée !
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V
Tu sais, au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Alors, régnons ! :-)
S
;-) je crois que ça résume bien ma décision d'arrêter le mien .... et d'en commencer lamentablement un autre !!! lol
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A
Incroyable, cher Vini, comme tu as le don d'intepeller tes lecteurs... ce flot de commentaires en est la preuve, et c'est sans doute ce qui fait de toi un "bon" blogueur. Après une lecture attentive de tout cela j'ajouterai simplement: "Je blogue donc je suis" c'est vrai pour moi et j'imagine que ça l'est pour d'autres également... et je pense sincèrement qu'il y a de la place pour tous sur la grande toile...<br /> Bonne journée et A++<br /> Aliza
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